L’article du jour est différent car il s’agit de l’interview 🎤 de Diaguilie BA, modéliste et créatrice de la marque L’atelier Tengel.
Dès la création de mon blog en 2016, j’ai voulu faire des interviews de personnes du secteur. Car je voulais faire en sorte que la mode, et surtout la partie conception/industrielle, ait de moins en moins de mystères pour ceux et celles qui ne viennent pas du milieu.
Mais ça aurait été également l’occasion pour moi de connaître leurs parcours et d’apprendre de ces personnes.
Aujourd’hui, je réalise un de mes rêves pour mon blog.
Depuis mes débuts en freelance, j’ai surtout accompagné des marques en création. J’ai vu que certaines avaient besoin d’être guidées et pas seulement en modélisme.
Autant je peux aider sur le modélisme (même si j’en apprends tous les jours !), mais pour la création de marque, je ne suis pas la bonne interlocutrice. C’est pour cela que j’ai voulu interviewer une amie, Diaguilie, qui est en train de lancer sa marque de vêtements.
J’ai fait exprès de poser des questions à quelqu’un qui, comme certains d’entre vous, se lance 😊. Diaguilie étant du secteur de la mode, vous pourrez avoir des idées sur la marche à suivre 😊
Cet article vous permettra aussi de découvrir sa jolie marque l’Atelier Tengel. Cela vous donnera aussi, je l’espère, des pistes pour définir la vôtre (les valeurs, la signification du nom de marque, le “pourquoi” de votre marque…).
Plan de l’interview
On a beaucoup discuté avec Diaguilie, c’est pour cela que l’interview est en 3 parties :
- 1ère partie : Diaguilie, sa marque et ses valeurs = son pourquoi
- 2ème partie : Comment elle s’y est prise pour lancer sa marque (1/2)
- 3ème partie : Comment elle s’y est prise pour lancer sa marque (2/2) + conseils
Cette interview a été réalisée en août 2022.
Mes propos sont en italiques.
Ceux de Diaguilie en écriture normale.
Bonne lecture 🙂
LA MARQUE ATELIER TENGEL
Le parcours scolaire de Diaguilie
J’ai demandé à Diaguilie de se présenter et de nous parler de son parcours.
Diaguilie : Je m’appelle Diaguilie, j’ai 30 ans, j’habite en région parisienne et je suis modéliste de métier.
J’ai un parcours atypique parce qu’avant je travaillais dans le commerce. J’ai commencé par un bac pro commerce. Par la suite, j’ai poursuivi avec un BTS Negociation Relation Client puis je suis partie pendant 1 an aux états unis.
C’est là que j’ai fait des rencontres dans la mode qui m’ont bouleversées. Notamment une fille qui travaillait dans ce secteur et qui m’a un peu transmis sa passion. Donc en revenant des Etats-Unis en 2015, je me suis orientée dans un parcours mode.
J’ai d’abord fait une année de mise à niveau pour les patronnages et la couture. Ensuite, j’ai fait un niveau bac+2 de modélisme Prêt-à-porter Femme a l’école Formamod où j’ai eu l’occasion d’obtenir une certification de stylisme.
Ensuite, j’ai pris une année sabbatique où j’ai fait beaucoup de stages notamment dans une petite marque de prêt-a-porter où j’étais assistante de production. J’ai également été technicienne produit.
Puis, j’ai fait 2 années d’alternance avec l’école AICP pour préparer le diplôme de Modéliste International du Vêtement.
L’influence de sa soeur et de sa mère pour s’orienter dans la mode
Wendy : Pour que je comprenne bien, c’est après être partie en voyage aux États-Unis que tu t’es dit que t’allais t’orienter dans la mode ?
Diaguilie : En fait, j’avais l’idée de travailler dans la mode depuis très longtemps. Ma grande soeur faisait déjà du modélisme.
Ma mère m’a aussi influencé indirectement. Je suis d’origine sénégalaise et au Sénégal, la toilette (l’habillement, ndlr) de la femme, c’est quelque chose d’hyper important. J’ai grandi en regardant ma mère s’apprêter, mettre de beaux vêtements, des bijoux… et j’ai toujours été sensible à ça : aux matières, aux coupes, etc. Parce que ma mère m’a transmis ce sens du détail.
Mais dans ma famille, être modéliste, ce n’était pas un métier. Pour mes parents qui sont de l’ancienne génération, avoir un travail, c’était travailler dans le commerce ou dans le secrétariat. Ils étaient sceptiques et assez réticents vis-à-vis des métiers créatifs.
C’est pour cela que je me suis orientée vers un parcours plutôt marketing commerce au début. Puis je me suis dit que maintenant que j’ai grandi, c’est à moi de faire mes propres choix. Et après mon retour des États-Unis, je me suis mise à la mode.
Inconsciemment, c’est toujours quelque chose que j’ai voulu faire mais que j’avais pas osé jusqu’à présent. Et le déclic s’est fait pendant mon année aux États Unis où je me suis dit « ok je me lance et on verra ce que ça va donner ». Et depuis, je n’ai pas abandonné.
La signification du nom de marque Tengel
Diaguilie BA : L’atelier Tengel (se prononce taine-guéle, ndlr) s’appelle de cette façon car Tengel était le nom d’un de mes ancêtres au Sénégal. Il s’appelait Koli Tengella Ba de son nom complet. Ba étant mon nom de famille, c’est un ancêtre direct. Il est le fondateur de la première dynastie peule Denianké.
J’en suis moi-même issue. Tengel était roi de cette dynastie, il a régné sur une partie de l’Afrique qu’on appelle le fouta qui était une région vaste du Sénégal.
Il a réuni toute cette tribu qui était à l’origine des nomades et il leur a donné un endroit où vivre. Il a été roi pendant des décennies.
C’est pour cela que j’ai voulu lui rendre hommage en appelant ma marque « L’atelier Tengel ».
Les valeurs de sa marque
1) La famille
Diaguilie BA : La famille, c’est hyper important.
Mon entreprise est aussi un hommage à ma mère. C’est aussi elle qui m’a transmis cette passion pour la mode. Passion, qui a été transmise à ma mère par ma grand-mère.
Elle faisait de la couture et elle a transmis ce souci du détail et cette envie de s’apprêter à ma mère. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de connaître ma grand-mère et avec ma marque c’est un peu un hommage que je fais aux femmes de ma famille qui sont une source d’inspiration. J’ai 8 sœurs et chacune d’entre elles fait partie de l’ADN de mon entreprise.
2) L’éco-responsabilité
Diaguilie BA : L’éco-responsabilité me tient hyper à cœur car la mode est un des secteurs qui polluent le plus et avec l’atelier Tengel, j’ai envie de minimiser mon impact et de polluer le moins possible.
Parce qu’au Sénégal, et en Afrique en général, la préservation de la biodiversité et l’écologie sont des sujets très ancrés. Faire attention à la planète est quelque chose qui nous a été transmis de génération en génération.
Avec mon entreprise, je me suis posée la question : “Est-ce que je crée une marque rapidement, qui plaît à tout le monde et qui finalement, n’a pas ces valeurs là de préservation de la biodiversité, d’écologie, etc.” mais ça aurait été une marque parmi tant d’autres.
Alors, j’ai choisi de faire une marque qui me ressemble et qui porte les valeurs qu’on m’a transmises et qui me tiennent à cœur.
J’ai envie de faire une marque qui respecte la planète au mieux, c’est pour ça que les tissus de mes modèles viendront, en partie, de stocks dormants. Mais, j’ai également envie de mettre en avant la tradition sénégalaise, donc certains modèles seront fabriqués dans des matières provenant du Sénégal.
L’éco-Responsabilité comme moteur
J’ai demandé à Diaguilie son ressenti par rapport au contexte actuel et l’éco-responsabilité. Je lui ai fait remarquer que l’éco-responsabilité avait été un moteur et non un frein pour créer sa marque.
Diaguilie BA : Exactement. Ça a vraiment été un moteur pour moi.
Heureusement qu’aujourd’hui les gens sont de plus en plus sensibles à ça et c’est tant mieux. À mon sens, c’est plus facile aujourd’hui d’argumenter sur l’éco responsabilité de sa marque parce que les gens sont plus réceptifs. Ils comprennent le contexte, l’enjeu pour la plupart avec le réchauffement climatique.
Comme je te le disais, au Sénégal, on nous transmet de faire attention à la nature. On a des forêts extraordinaires et il y a des oiseaux en voie de disparition. Je n’ai pas envie que ma marque participe à la destruction de la planète et de la biodiversité.
D’où l’importance pour l’atelier Tengel d’utiliser des stocks dormants, des matières qui existent déjà. Autant utiliser ceux qui étaient destinés à être jetés ou brûlés pour les revaloriser et créer des produits. Ou encore, soutenir la culture biologique au Sénégal.
J’espère que davantage de marques prendront ce tournant de l’écologie.
3) La culture et la tradition sénégalaise
Diaguilie BA : Les matières proviendront également des produits issus de l’agriculture sénégalaise. Comme le coton bio qui est récolté au sud-est du Sénégal, dans la région de Tambacounda.
C’est du coton qui est filé de façon traditionnelle par les femmes de cette région là. C’était important pour moi d’apporter cette touche de culture de mon pays à ma marque.
4) L’équité
Diaguilie BA : Comme dit précédemment, impliquer les personnes de la région de Tambacounda à ce process était important pour moi et la partie culturelle de ma marque.
Il faut savoir que la création du tissu se fait par plusieurs étapes : les balles de coton sont faites par les agriculteurs. Puis elles sont achetées par les femmes qui vont faire des fils de coton en écheveau de manière traditionnelle. Enfin, ces fils de coton sont tissés par des hommes et des femmes tisserands.
Il faut savoir que c’est très compliqué, ce n’est pas un métier facile, il est très ancien voire même archaïque. Il n’y a pas beaucoup de moyens techniques pour les aider à faire en sorte que leur métier soit plus facile pour eux.
C’est aussi un métier très très physique. Donc, le but avec mon entreprise, c’est de pouvoir, à mon échelle, participer au commerce équitable. L’idée est de les rémunérer à leur juste valeur pour leur travail et leur savoir-faire.
J’ai envie que tout le monde y gagne et y trouve son compte dans toute cette chaîne de production.
Récupérer des balles de coton pour éviter le gâchis
Cela créera des nouveaux tissus mais qui proviendront de coton biologique déjà récolté. Cette récolte aurait été jeté si elle n’avait pas été utilisée.
Alors autant acheter les balles de coton déjà présentes, qui sont un peu comme du “stock dormant”, pour en faire quelque chose, comme de nouveaux tissus.
De cette façon, cela évite à l’agriculteur de perdre sa production.
Les tissus tissés par les tisserands pour la collection Automne-Hiver
En raison du coût, pour la première collection de la marque, il n’y aura pas de tissus tissés par des tisserands africain. Il faudrait payer 20€/mètre pour que tout le monde soit bien rémunéré.
De plus, ces tissus sont lourds et ma première collection sera pour l’été, donc les tissus ne seront pas compatibles avec la saison.
Alors j’essaierai de travailler avec eux plutôt pour la collection automne-hiver.
5) L’inclusivité
Diaguilie BA : L’inclusivité, c’est l’histoire de ma vie. Aujourd’hui, je ne connais pas beaucoup de marques éthiques / éco-responsables qui proposent des grandes tailles. Une des raisons est que c’est très cher à produire, il y a beaucoup de consommation de tissus pour faire des grandes tailles (car les patrons sont plus grands, ndlr).
Le développement d’une collection size inclusive, c’est beaucoup plus cher et plus compliqué : il y a les mannequins à trouver, il y a des ruptures de gradations (l’évolution entre les tailles n’est plus régulière sur les grandes tailles comparées aux “tailles standards”, ndlr).
Donc, en général, la plupart des marques ne font pas forcément de très grandes tailles.
Mais moi j’ai envie d’en proposer. Ça me tient à cœur parce que j’étais dans cette situation là où je vais dans un magasin et il n’y a pas ma taille. Ou alors, il y a une marque qui me plaisait, je partageais les mêmes valeurs mais il n’y avait pas ma taille. Cela s’arrêtait au 42 pour la plupart et ça me frustrait.
Avec l’Atelier Tengel, j’ai envie de toucher un maximum de femmes parce que comme je te l’ai dit tout à l’heure, j’ai 8 soeurs et on est toutes différentes. Toutes les femmes sont différentes d’ailleurs. On a toutes des tailles différentes, toutes des personnalités différentes… on est toute unique.
Donc, je suis partie de cette frustration de ne pas trouver ma taille qui me touche moi et des millions de femmes sur Terre pour définir les valeurs de ma marque.
Je veux créer une marque pour que les femmes puissent se sentir bien, être confortable dans de beaux vêtements avec des valeurs qui leur tiennent à coeur.
Les tailles pour sa marque
Suite à cela, je lui ai demandé si elle avait une idée des tailles qu’elle souhaitait faire
Diaguilie : Pour l’instant, je prévois de faire du 36 au 56. On parle souvent des grandes tailles mais même pour des femmes qui sont assez menues, en dessous d’une taille 36 et qui sont petites, même pour elles, c’est hyper compliqué de s’habiller.
J’ai envie de proposer un maximum de tailles mais c’est pas évident et je ne vais pas mentir en disant que je vais proposer toutes les tailles qui puissent exister. Ce n’est pas possible. Aujourd’hui malheureusement, on ne peut pas.
Donc, mon but est de proposer un maximum de tailles qui iront du 36 au 56, j’espère, et voir si il est possible de proposer un service de taille “à la demande”. Si par exemple, une personne a besoin d’un 34, elle aura juste besoin de nous envoyer un message pour qu’on puisse réaliser un patronnage à sa taille.
Je lui ai dit que c’était un projet très ambitieux
Diaguilie : Oui, c’est hyper ambitieux. J’espère que je vais pouvoir mener ce projet à bien. Parce que c’est une partie importante pour moi car j’ai envie de créer une marque qui inclut le plus de personnes possible.
La cible de sa marque
Je lui ai demandé de parler des personnes qui pourrait s’habiller en Atelier Tengel
Diaguilie : En terme d’âge, on cible des femmes de 25 à 45 ans car on souhaite concevoir des vêtements éthiques et ça a un coût si on veut faire les choses bien et de la qualité. C’est pour cela que l’on cible celles qui sont déjà dans la vie active car elles sont plus susceptibles de pouvoir investir dans nos produits.
Ayant une double culture française et africaine, j’ai envie de cibler les femmes qui ont également une double culture quelle qu’elle soit pour qu’elles puissent se sentir représentées avec nos produits.
La double culture est une vraie richesse, selon moi et j’ai envie qu’elles puissent en être fière où qu’elles soient en portant Atelier Tengel, telle des ambassadrices de cette double culture.
Au niveau du style des produits, on serait plutôt sur des vêtements élégants, intemporels et haut de gamme.
💡 Conseil de Wendy 💡 : C’est très important de bien identifier sa clientèle cible. En fonction du prix pratiqué par exemple, vous ne vous adresserez pas aux mêmes personnes (pas le même budget, entre autres). La population ciblée a aussi son importance (âge, culture…), on ne proposera pas le même type de vêtements.
Conclusion
J’espère que vous avez apprécié la première partie de cette interview.
Dans la prochaine partie, nous parlerons de comment elle fait pour lancer sa marque et préparer sa première collection !
Vous aurez encore plein de choses à apprendre 😉
Encore merci à Diaguilie pour son temps et le partage 🙂
Pour suivre l’Atelier Tengel
Instagram : @tengelafrica
À très vite,
Wendy
Photos de Diaguilie BA et Pexels (précisé dans l’article)